Lorsqu'on parle de personnes handicapées, on se figure souvent des individus en fauteuil roulant. Pourtant, généralement, un handicap ne se voit pas – et peut à ce titre être d'autant plus invalidant. Changer nos perspectives générales sur le handicap permettrait d'être plus conscient de cette réalité.

Au delà du fauteuil roulant

La vue est un sens surdéveloppé et privilégié par rapport aux autres. On accorde communément plus d’importance à ce que l’on voit qu’à ce qu’on touche, goûte, ou perçoit différemment; le monde est ce que nous voyons. Il n’existerait pas, au premier abord du moins, en dehors de cette perception. Nous serions donc d’abord soumis aux apparences – et aux fantasmes qu’elles véhiculent – avant d’aller aux choses mêmes. 
Par conséquent, quand on pense au handicap, notre premier réflexe est de le visualiser. La première image mentale qui vient est celle du handicap moteur. Les pictogrammes désignant les places réservées aux personnes en situation de handicap sur les parkings et dans les lieux publics représentent d’ailleurs quelqu’un qui se déplace en fauteuil.

Or ce n’est pas la situation la plus courante. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la plupart du temps, le handicap ne se voit pas. Et cela ne l'empêche pas d'être vécu difficilement. Qu’il soit visible ou invisible, il génère des discriminations.
En réalité, les handicaps invisibles ou qui ne se voient pas au premier coup d’œil génèrent plus de complications, car ils sont difficilement identifiables, ils sont moins pris en compte. Les maladies chroniques, les traumatismes crâniens, la déficience visuelle, auditive ou intellectuelle, la dyslexie, l’illettrisme, mais également les troubles psychiques ou cognitifs (difficultés à mémoriser, à s’organiser, à s’adapter…) concernent 8 personnes sur 10. 
Comment, alors, ne pas se laisser enfermer par notre perception ? À l’inverse, comment prendre en compte justement ce qu’on ne peut voir ? Notre faculté de perception et notre connaissance sensible procèdent par projections et associations. Elles font appel au savoir que nous avons accumulé jusque-là.
Sommes-nous pour autant condamnés à exister d’abord dans le regard de l’autre, à n’être jamais des personnes en soi, sans être caractérisés par une particularité de notre apparence, un handicap ou autre ?

Il reste du travail pour faire évoluer les consciences. Il faut changer nos représentations personnelles et collectives, analyser de plus près la façon dont on parle du handicap. Et cela commence par les mots qu’on utilise. Parler d’intégration ou même d’inclusion, pour citer des termes fréquemment utilisés aujourd’hui, à la mode, cela induit encore l’idée selon laquelle il faudrait fournir des efforts pour vivre avec des personnes en situation de handicap. 
Changer nos représentations consiste également à faire tomber les catégories ou, du moins, à les réévaluer. Celle qui distinguerait une situation de handicap d’une difficulté, d’une différence parmi tant d’autres. Une déficience auditive, par exemple, peut être considérée comme appartenant au champ du handicap lorsqu'elle survient chez un jeune adulte. Mais la perte de l’audition chez une personne plus âgée sera considérée comme « normale ».
Alors, plutôt que de raisonner en créant des groupes de handicaps, ne devrions-nous pas penser chacun comme étant porteur d'une singularité propre et donc, d’une différence ? Autrement dit, percevoir l’autre au-delà de ce qui est donné d’emblée, au-delà de ce qu’on peut voir ou percevoir de lui au premier abord ?
Reste à aiguiser notre perception, à la perfectionner, pour comprendre autrui et exercer notre sagesse. Il faut réapprendre à voir le monde.